Présentation au Comité permanent des finances et des affaires économiques sur le Projet de loi 57, Loi de 2018 visant à rétablir la confiance, la transparence et la responsabilité
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
3 décembre 2018
Introduction
Pour traiter des changements proposés par le Projet de loi 57, je consacrerai la plupart de mes commentaires aux modifications qui touchent le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario et la Loi sur l’ombudsman. Les plus notables d’entre elles sont les modifications qui élargiront le mandat de ce Bureau à des domaines actuellement placés sous le mandat de mes collègues qui sont comme moi officiers de l’Assemblée législative : l’Intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes (l’Intervenant en faveur des enfants) et le Commissaire aux services en français.
Aucune discussion sur ces propositions ne peut commencer sans un hommage à l’immense travail de mes deux collègues, François Boileau et Irwin Elman, pour qui ces rôles n’ont pas été un simple emploi, mais une passion. La différence qu’ils ont faite, avec leurs équipes, dans la vie des Ontariens durant la dernière décennie est considérable, et ils laissent un grand héritage derrière eux.
Je suis déterminé à veiller à ce que mon Bureau poursuive le travail que le Projet de loi 57 nous transfère en gardant leurs exemples à l’esprit. Nous consacrerons toute la force de notre indépendance, de notre intégrité et de la crédibilité de nos méthodes à ces nouveaux secteurs.
Dans ce but, nous nous appuierons sur notre expérience afin de joindre les nouveaux intervenants pour les informer de nos services, tout comme nous l’avons fait lors du plus grand élargissement du mandat de ce Bureau, à la suite de l’adoption de la Loi de 2014 sur la responsabilisation et la transparence du secteur public et des députés. Cette loi, qui est entrée pleinement en vigueur en 2016, a doublé le nombre d’organismes du secteur public placés sous le mandat de l’Ombudsman, le faisant passer à plus de 1 000. Elle a étendu notre capacité à aider les Ontariens à régler leurs plaintes sur des problèmes administratifs concernant les municipalités, les universités et les conseils scolaires – en plus de tous les ministères, organismes, sociétés, conseils, commissions et tribunaux de la province.
Cette expérience a clairement prouvé la valeur – et le besoin pour le public – d’une surveillance indépendante exercée sur ces organismes, qui touchent directement la vie des Ontariens. Nous avons été en mesure d’aider des milliers de personnes qui n’avaient aucun recours auparavant pour leurs plaintes, et de venir en aide à des centaines d’organismes du secteur public afin d’améliorer leur transparence, leur responsabilisation et leur service au public.
Le savoir-faire expert de l’Ombudsman de l’Ontario réside dans l’équité administrative et dans ses enquêtes approfondies sur des questions individuelles et systémiques. Nous tirerons parti de cette connaissance et de cette expérience alors que nous forgeons des liens avec les nouveaux intervenants dans nos nouveaux domaines de compétence.
Ceci dit, il convient de souligner que, comme nous avons pris connaissance des propositions du Projet de loi 57 il y a 18 jours seulement, nous continuons d’examiner la loi et de demander au gouvernement des précisions sur la façon dont il envisage de les mettre en œuvre.
Nous attendons avec impatience d’en savoir plus sur les plans du gouvernement et, comme je l’ai dit à la Commission de régie interne le 20 novembre, je lui présenterai en temps opportun une proposition de budget qui inclut les nouvelles responsabilités transférées à mon Bureau.
Voici maintenant mes recommandations et mes observations, fondées sur l'examen du Projet de loi que nous avons fait jusqu’à présent, au sujet de questions importantes que le Comité devrait examiner et traiter, à mon avis, avant sa troisième lecture.
Rôle de l’Ombudsman
En proposant des changements à plusieurs bureaux existants d'officiers de l’Assemblée législative, le Projet de loi 57 a suscité de nombreuses discussions sur leurs rôles et sur les distinctions entre eux. Ces discussions offrent une occasion bienvenue de mieux sensibiliser le public au rôle de l’Ombudsman. Bien que l’Ombudsman de l’Ontario existe depuis 1975, et que le travail de son Bureau ait eu des répercussions positives sur les services publics pour des millions de personnes, la définition du mot « ombudsman » (en suédois « représentant du peuple ») n’est pas très connue. Comme son titre l’indique, l’Ombudsman représente une institution établie de longue date dans les démocraties partout dans le monde.
L’Ombudsman répond aux plaintes du public – plus de 21 000 arrivent à notre Bureau chaque année – mais il peut aussi mener de sa propre initiative des enquêtes sur des problèmes individuels ou systémiques. Le rôle de l’Ombudsman est d’améliorer la gouvernance en favorisant la transparence, la responsabilisation et l’équité – que ce soit par le biais de règlements informels des problèmes, en travaillant de manière proactive avec les fonctionnaires, en suggérant des pratiques exemplaires ou en publiant des rapports d’enquête et des recommandations.
Le Bureau de l’Ombudsman définit ces principes dans ses énoncés de mission et de vision :
Mission : Nous nous efforçons de jouer le rôle d’un agent de changement positif en favorisant l’équité, la responsabilisation et la transparence du secteur public.
Vision : Un secteur public œuvrant au service des citoyens, dans l’équité, la responsabilisation et la transparence.
Fondamentalement, l’Ombudsman est indépendant et impartial. Il ne défend ni les plaignants, ni les organismes du secteur public; par contre, il préconise l’équité et présente des recommandations de solutions constructives aux problèmes administratifs, à partir d'éléments de preuve recueillis lors des enquêtes. Il s’agit là d’une distinction importante à garder à l’esprit dans la mise en œuvre des modifications du Projet de loi 57.
Indépendance des officiers de l’Assemblée législative
Parmi les préoccupations soulevées publiquement au sujet du Projet de loi 57, à l’Assemblée législative et ailleurs, certaines étaient liées aux nouvelles dispositions permettant la suspension de l’Ombudsman ou d'un autre officier de l’Assemblée législative, si l’Assemblée est d’avis qu’une telle suspension est justifiée. Même si je comprends que le Comité est déjà au courant de ces graves préoccupations, j’aimerais profiter de cette occasion pour les rappeler.
L’indépendance de l’Ombudsman a toujours été protégée par une solide législation et par le respect de la primauté du droit. C’est précisément son statut d’officier indépendant de l’Assemblée législative – et non une nomination précaire à une fonction au bon plaisir du gouvernement – qui permet à l’Ombudsman de dire la vérité aux gens de pouvoir et d’apporter des changements positifs, dans l’intérêt des citoyens et des institutions de l’Ontario. Il en va de même pour les autres officiers.
Bien sûr, l’Assemblée devrait disposer d’un mécanisme pour faire face à des situations où un officier peut devenir inapte à exercer son rôle ou commettre une faute grave justifiant sa suspension ou sa destitution pour un motif valable. Toutefois, la proposition voulant qu’un officier puisse être suspendu simplement sur l’avis d’une majorité des membres de l’Assemblée n’a aucun précédent au Canada.
Je demande respectueusement que le Projet de loi 57 soit modifié afin de stipuler que tout pouvoir de suspendre de ses fonctions l’Ombudsman ou tout autre officier de l’Assemblée législative soit limité aux situations où il y a un motif valable, en raison d’une inconduite ou d’une incapacité grave. Un tel pouvoir ne devrait être exercé que par un vote au minimum des deux tiers de l’Assemblée. Je tiens aussi à souligner que je suis appuyé dans cette requête par l’Institut international de l’Ombudsman, le Conseil canadien des ombudsmans parlementaires et le Forum canadien des ombudsmans.
Dans le même ordre d’idée, le Projet de loi propose que le salaire de l’Ombudsman soit déterminé par la Commission de régie interne. Nous avançons respectueusement que, compte tenu de l’étendue de la surveillance, de la nature des responsabilités et des connaissances expertes requises, le salaire de l’Ombudsman devrait être au même niveau que celui du Vérificateur général, à savoir celui d’un sous-ministre principal.
Questions concernant les services en français
Parmi les aspects les plus débattus du Projet de loi 57, tant à l’Assemblée législative qu’ailleurs, figure la suppression des responsabilités du Commissaire aux services en français quant à son rôle important de revendication, étant donné que la fonction de revendication ne fait pas partie du rôle de l’Ombudsman traditionnellement. Depuis, il a été proposé que le Projet de loi soit modifié pour préserver cet aspect du rôle du Commissaire, au sein du Bureau de l’Ombudsman.
Ce rôle de revendication est clairement d’une grande importance pour les Franco-Ontariens et pour la province dans son ensemble, et j’appuie sa reconnaissance et sa préservation dans le cadre de la continuité du mandat du Commissaire. Au fur et à mesure que mon Bureau examinera les détails du Projet de loi et les plans du gouvernement, je veillerai à ce que ce rôle soit financé adéquatement.
Questions concernant les enfants et les jeunes
Le Projet de loi 57 propose de transférer à l’Ombudsman de l’Ontario les fonctions de l’Intervenant en faveur des enfants en ce qui concerne les enquêtes relatives aux enfants et aux jeunes. Depuis le dépôt du Projet de loi, le ministre responsable a exprimé l’intention que le Ministère assume une grande partie de l’important rôle de revendication de ce Bureau, notamment par la création d'un système de tables rondes. Mes commentaires portent donc principalement sur les modifications proposées au sujet des enquêtes de l’Ombudsman.
En annonçant ces changements, plusieurs membres du gouvernement ont indiqué qu’ils envisageaient des enquêtes plus rigoureuses en conséquence. Toutefois, notre examen du Projet de loi a révélé certaines lacunes qui doivent être comblées pour permettre à mon Bureau de s’acquitter efficacement de ce mandat. Je recommande que le Projet de loi soit modifié en conséquence.
Enquêtes sur les décès d'enfants
Actuellement, il est interdit à l’Intervenant en faveur des enfants d’enquêter sur les décès d’enfants qui relèvent de la compétence du Bureau du Coroner en chef ou de ses comités. Le Projet de loi reporte une version encore plus forte de ceci dans la Loi sur l’ombudsman[1]. L'interdiction d’enquêter sur les cas les plus graves concernant des enfants est incompatible avec la portée des pouvoirs existants de l’Ombudsman et avec le fait que les décès d’enfants devraient être scrutés de près et sous des angles multiples.
Je recommande que cette interdiction soit supprimée.
Aucune restriction n’a jamais été imposée à l’Ombudsman lui interdisant d’enquêter sur des affaires parallèlement à des enquêtes du coroner, y compris dans des cas de décès d’enfants. Par exemple, plusieurs décès d’enfants ont servi de catalyseur à l’enquête de notre Bureau en 2014 sur la réponse apportée par le ministère de l’Éducation aux plaintes et aux préoccupations concernant les fournisseurs de services de garde non agréés[2].
L’Ombudsman enquête d’un point de vue différent et dans un but différent de ceux du Coroner en chef, et l’un et l’autre ne font pas double emploi dans leurs efforts.
La plupart des intervenants en faveur des enfants au Canada enquêtent sur les décès d’enfants. L’Ontario ne devrait pas faire exception. Il ne devrait pas y avoir inutilement de limite au pouvoir d’enquête de l’Ombudsman sur les cas de décès d’enfants, étant donné que de telles enquêtes pourraient mener à des recommandations d'améliorations d'une importance vitale du système de protection de l’enfance.
Afin de remplir le mandat dans ce domaine, l’Ombudsman devrait aussi être avisé des décès d’enfants qui reçoivent des services de sociétés d’aide à l’enfance et de titulaires de permis en vertu de la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille, ou qui ont reçu des services durant l’année ayant précédé leur décès.
Droits d’appel et d’examen
En vertu de la Loi sur l’ombudsman, l’Ombudsman ne peut pas enquêter lorsqu’il existe un droit réglementaire d’appel ou d’examen sur le fond, avant que ce droit n’ait été exercé ou ne soit venu à échéance. Cette restriction s’appliquerait aussi à toute enquête de l’Intervenant en faveur des enfants qui est transférée à l’Ombudsman par le Projet de loi 57.
Bien que l’Ombudsman soit généralement considéré comme un dernier recours, il ne fait aucun doute que des situations urgentes se présenteront qui pourraient requérir une attention plus immédiate. D’autres bureaux d’intervenants en faveur des enfants au Canada ont le pouvoir discrétionnaire d’agir dans de telles situations – p. ex., le Saskatchewan’s Child Advocate peut déroger à l’obligation d’épuiser les droits d’appel dans certaines circonstances.
Je recommande que le Projet de loi 57 soit modifié pour donner à l’Ombudsman le pouvoir discrétionnaire de déterminer quand les circonstances justifient une intervention et une enquête immédiates.
Publication des noms
Le Projet de loi 57 propose d'interdire à l’Ombudsman de divulguer le nom d’un enfant, ou d’autres renseignements permettant d’identifier celui-ci, quand il fait rapport sur certaines enquêtes – et ceci dans la lignée des dispositions existantes s’appliquant à l’Intervenant en faveur des enfants. L’Intervenant en faveur des enfants a précédemment exprimé des préoccupations sur cette restriction et il a préconisé une modification qui permettrait de divulguer l’identité d’un enfant décédé si elle a déjà été rendue publique lors d’une enquête ou d’une procédure judiciaire[3].
Dans d'autres provinces, les intervenants en faveur des enfants ont le pouvoir de publier des renseignements signalétiques dans certaines circonstances – par exemple, au Manitoba, l’Intervenant peut divulguer le nom d'un enfant si ce nom a déjà été communiqué légalement par d’autres moyens.
Pour que mon Bureau s’acquitte de son travail avec efficacité et dans la transparence, il serait très utile qu’il puisse faire référence au nom des enfants qui ont déjà été rendus publics dans le cadre de procédures judiciaires, ainsi qu’à des recommandations d’enquêtes publiques concernant des enfants nommés.
Je recommande que le Projet de loi 57 soit modifié pour donner à l’Ombudsman cette capacité.
Accès à l’information
Actuellement, le paragraphe 19 (3.1) de la Loi sur l’ombudsman stipule clairement que certaines dispositions provinciales en matière de protection de la vie privée ne devraient pas être utilisées pour empêcher la divulgation de renseignements à l’Ombudsman, notamment la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.
La Partie X de la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2020, comprend certaines exigences en matière de vie privée et de consentement qui pourraient nuire à l’efficacité des enquêtes de l’Ombudsman au sujet des enfants et des jeunes.
Par conséquent, le paragraphe 19 (3.1) devrait être modifié pour inclure une référence à la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille.
Conclusion
Avec les ressources nécessaires et le cadre législatif approprié, je suis convaincu que mon Bureau sera en mesure de s’acquitter efficacement des nouvelles responsabilités proposées par le Projet de loi 57, tout comme nous l’avons fait de par le passé quand nous avons dû assumer des responsabilités supplémentaires. Je remercie le Comité de prendre en considération mes recommandations de modifications et d’améliorations – dont la liste est donnée à la page suivante.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] La restriction aux enquêtes de l'Ombudsman sur les décès d'enfants est absolue en vertu du Projet de loi 57, alors que la loi actuelle permet à l'Intervenant en faveur des enfants d'enquêter sur les problèmes systémiques liés au décès d'un enfant une fois que la procédure du coroner est terminée.
[2] Ombudsman de l’Ontario, Garderies mal gardées : Enquête sur la manière dont le ministère de l’Éducation traite les plaintes et les préoccupations à propos des fournisseurs non agréés de services de garde d’enfants, 2012, en ligne.
[3] Intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes de l'Ontario, présentation au Comité permanent des affaires gouvernementales sur le Projet de loi 8 : Loi de 2014 sur la responsabilisation et la transparence du secteur public et des députés, en ligne (en anglais seulement).
Liste des modifications proposées au Projet de loi 57
Indépendance et pouvoir de suspendre des officiers de l’Assemblée
1. Limiter le pouvoir de suspendre un officier de l’Assemblée à un motif valable ou à une incapacité et exiger, au minimum, un vote aux deux tiers de l’Assemblée.
2. Fixer le salaire de l’Ombudsman au même niveau que celui du Vérificateur général (c.-à-d. au niveau de sous-ministre principal).
Enquête sur les cas de décès d’enfants
3. Supprimer le paragraphe proposé 14 (4.6) du Projet de loi (annexe 28, clause 7).
Avis des décès d’enfants
4. Ajouter l’exigence en vertu du Projet de loi 57 (annexe 28) selon laquelle l’Ombudsman doit être avisé des décès d’enfants qui reçoivent des services, ou qui ont reçu des services durant l’année ayant précédé leur décès, de la part de sociétés d’aide à l’enfance et de titulaires de permis en vertu de la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille.
Identification des cas où le nom d’un enfant a été rendu public par une autorité légale
5. Modifier le paragraphe proposé 7.3 (1) « Interdiction : Identification d’un enfant » pour indiquer que l’Ombudsman ne doit pas divulguer dans un rapport le nom d’un enfant pouvant être visé par une enquête menée en vertu du paragraphe 14 (1.1) ou des renseignements permettant de l'identifier, sauf si ce nom ou tout autre renseignement permettant d’identifier l’enfant a été rendu public par une ordonnance judiciaire, une procédure judiciaire ou une procédure du Coroner.
Pouvoir de traiter les cas urgents et impérieux
6. Modifier l’article 14 de la Loi sur l’ombudsman pour stipuler que malgré l’alinéa 14 (4) a) de la Loi sur l’ombudsman, l’Ombudsman peut ouvrir une enquête en vertu du paragraphe 14 (1.1) (Enfants et jeunes) s’il est d’avis que des circonstances impérieuses justifient une enquête.
Accès à l’information
7. Modifier le paragraphe 19 (3.1) de la Loi sur l’ombudsman pour inclure une référence à la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille.